Avec mon collègue Dominique Potier, nous avons présenté, ce mercredi 9 décembre, devant la Commission des affaires économiques, les conclusions de notre mission d’information. Cette mission portait sur le partage de la valeur au sein des entreprises, et les enjeux économiques et sociaux qu’il suppose.
La crise sanitaire et ses conséquences économiques ont mis en évidence la présente d’inégalités entre trop importantes au sein de notre société
Les mouvements sociétaux aspirent à un monde plus juste et plus équitable. La crise sanitaire et ses conséquences économiques ont mis en évidence la présence d’inégalités encore trop importantes au sein de notre société. Inégalités face au risque d’exposition au virus, inégalités d’accès aux soins, inégalités de conditions de vie, de pouvoir d’achat, etc. Cette crise a mis également en évidence la dévalorisation salariale de certains métiers, pourtant essentiels : aides-soignants, agents d’entretien, caissiers, etc. Autant de héros, majoritairement féminins, qui ont permis à nos citoyens de continuer leur vie quotidienne malgré les mesures de confinement.
En même temps, nous avons aussi entendu que des dirigeants d’entreprise voyaient leurs revenus grimper et continuaient de recevoir des dividendes. Une attitude contestable qui mérite que l’on s’intéresse au haut de l’échelle des revenus et aux écarts de rémunérations avec le bas de l’échelle.
Depuis le début du quinquennat, pourtant, le Gouvernement a eu à cœur de refonder notre économie en y insufflant plus d’égalité. Avec des textes comme la loi pour choisir son Avenir professionnel, et son index d’égalité entre les femmes et les hommes et la loi PACTE encourageant à une nouvelle gouvernance des entreprises, une meilleure répartition de la valeur et une meilleure association des salariés aux décisions, l’objectif est d’agir sur tous les plans : égalité dans l’accès à la formation, égalité des sexes, compléments de rémunération par la participation et l’intéressement..
Dans la continuité des améliorations de la loi PACTE, la mission d’information que nous avons conduite avec mon collègue Dominique Potier depuis juillet a voulu dresser un état des lieux du partage de la valeur au sein des entreprises françaises, à en étudier les effets sur la compétitivité, la gouvernance et le pouvoir d’achat, et enfin à identifier des leviers d’amélioration.
A travers les différentes auditions que nous avons menées, nous avons pu constater dans un premier temps que le partage de la valeur entre le capital et le travail en France est marquée par une relative stabilité au niveau macroéconomique, observée depuis les années 50. Cette réalité doit cependant être nuancée si l’on se place à l’échelle microéconomique : ce partage varie beaucoup en fonction des caractéristiques des entreprises observées (taille, secteur d’activité, etc.). Plusieurs économistes ont en effet observé une déformation du partage de la valeur en faveur du capital chez les grandes entreprises.
Depuis plusieurs années, les écarts salariaux entre les plus hautes et les plus basses rémunérations se sont creusés
Notre rapport affine son échelle en se positionnant au sein même de l’entreprise. Bien qu’en comparaison avec ses voisins européens, la France fasse figure de bonne élève, le constat est clair : depuis plusieurs années, les écarts salariaux entre les plus hautes et les plus basses rémunérations se sont creusés. Cela est principalement dû à l’envol des rémunérations, notamment la part variable, des dirigeants des très grandes entreprises.
Ce phénomène n’est pas récent, le droit français a très vite voulu agir en mettant en place des règles spécifiques. En 2016, avait été créé à cet effet un dispositif de contrôle actionnarial sur les politiques de rémunération des dirigeants, le « say on pay ». Ses résultats étant assez faibles, ce dispositif a été récemment renforcé par une ordonnance du Gouvernement. Allant au-delà des exigences européennes, le « say on pay » français doit encore faire ses preuves, et les effets de l’ordonnance de 2019 sont très attendus.
« Le nouveau capitalisme, c’est un capitalisme qui est capable de tenir compte de la juste rémunération des salariés » (B. Le Maire)
Malgré l’existence de ces dispositifs de contrôle, le problème des inégalités salariales est toujours d’actualité au sein de notre société. Pourtant il n’a pas sa place dans le capitalisme du XXIe siècle. Comme l’a souligné Bruno Le Maire, lors de la présentation du Rapport Lanxade Perret de 2019, « Le nouveau capitalisme, c’est un capitalisme qui est capable de tenir compte de la juste rémunération des salariés ». C’est donc avant tout un enjeu de justice sociale. Une réduction des écarts de rémunération représente également une opportunité économique, en permettant aux ménages les plus modestes de consommer plus.
Certains secteurs ont déjà fait des écarts limités un fondement même de leur politique de développement. C’est le cas notamment de l’économie sociale et solidaire. L’accord de l’agrément ESUS est, par exemple, conditionné à une politique de partage de la valeur équitable. Le fort développement de ce secteur depuis ces dernières années illustre bien qu’il est possible de concilier performance sociale et performance économique.
22 propositions pour agir à la source contre les inégalités
Face à ces différents constats, il est nécessaire d’agir sur trois volets :
- Renforcer le plus possible la transparence sur les niveaux de rémunérations au sein de l’entreprise. Il faut en effet poursuivre l’élan apporté par la loi PACTE avec le ratio d’équité. Mon collègue et moi-même avons formulé plusieurs propositions allant en ce sens. Lever l’opacité des informations relatives au partage de la valeur au sein des entreprises est le premier pas à faire pour identifier les mauvaises pratiques et les corriger.
- Réformer les dispositifs d’intéressement et de participation pour qu’ils soient plus équitables, et plus représentatifs de la contribution des salariés, et afin de mieux les associer aux bénéfices de l’entreprise. Il faut inciter un plus grand nombre d’entreprises à mettre en place ces outils de partage de la valeur.
- Refonder la gouvernance de nos entreprises, en renforçant la place des salariés dans ses instances décisionnelles. La loi PACTE introduit déjà certaines mesures en ce sens, mais nous proposons d’aller plus loin.
Enfin, en ce qui concerne la revalorisation des bas salaires, il est nécessaire que le dialogue social s’en empare, et l’État a un rôle pour lui donner un nouvel élan. C’est dans ce sens que le Premier ministre a organisé en octobre dernier une conférence pour le dialogue social. Cette dernière a mis en lumière la volonté des partenaires sociaux de travailler sur une meilleure reconnaissance des salariés et le renforcement de l’égalité dans le partage de la valeur.
Ce n’est qu’en agissant sur ces différents volets que nous pourrons définir une politique publique efficiente pour lutter efficacement contre les inégalités salariales. Notre société actuelle, en pleines mutations, aspire à une économie plus juste, plus équitable et surtout qui ait du sens. Les différentes propositions formulées dans ce rapport pourront alimenter les réflexions en réponse à cette aspiration.
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